Le premier temps fort de cette quinzaine Mémoire a eu lieu le 28 mai 2015 au café de la Fraternelle avec une conférence de Michel Etiévent « Ambroise Croizat, l’invention du social »
Michel Etiévent est littéralement habité par l’idée de faire vivre la mémoire d’Ambroise Croizat, ministre du travail et de la Sécurité Sociale de 1945 à 1947. Il est injustement oublié, car l’héritage de l’homme est prodigieux : Sécurité Sociale, retraite, Comités d’entreprises, statut de la fonction publique, statut des mineurs, médecine du travail, Conventions collectives, prévention, … un cortège impressionnant de réalisations sociales issues du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) qui fonde l’identité et la dignité d’un pays. Quand Michel Etiévent nous parle de lui-même, on comprend mieux pourquoi il est envahi par le personnage Croizat : « Enfant, fils d’ouvrière, j’ai vécu dans la maison même où Ambroise Croizat a vu le jour le 28 janvier 1901, dans cette cité ouvrière des « maisonnettes » collée au four de l’usine de Notre-Dame de Briançon. J’ai très tôt entendu parler de l’homme Croizat, on l’appelait « le ministre des travailleurs », « le père de la sécu ». La première photo que j’ai vue du personnage avait été collée contre le mur de notre maison, c’était un portrait géant posé le jour même de sa mort, le 11 février 1951. »
Ambroise Croizat fils de syndicaliste, syndicaliste lui même à la Fédération des métaux, député communiste en mai 1936, siège à la commission spéciale du gouvernement chargée d’élaborer les réformes et de veiller à leur application sur le terrain. Arrêté le 7 octobre 1939 comme député communiste sur les marches de l’Assemblée, il est enfermé à la prison de la Santé le 8 octobre. Jugé avec ses 27 camarades, il est condamné à 5 ans de prison et enfermé au bagne de la Maison Carrée près d’Alger. Ils ne seront libérés que le 5 février 1943 après trois ans d’enfermement. Les 27 quittent le bagne sans condition, leur qualité de député est reconnue, on désavoue leur déchéance et leur condamnation. La liberté va prendre le goût de la Résistance. Le 17 septembre 1943 Ambroise Croizat rejoint l’Assemblée Consultative instaurée autour du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) créé par de Gaulle le 3 juin 1943. Il y préside la commission du travail. C’est sur ces bancs que vont mûrir les inventions sociales de la Libération, c’est là que va prendre vie le programme du CNR.
Ambroise Croizat retrouvera la France en septembre 1944. Le 15 novembre 1945 le général de Gaulle fait appel à 5 communistes pour des postes clés, qui vont pouvoir donner réalité aux promesses du CNR. Réélu député le 21 octobre 1945, il sera 4 fois ministre du travail de novembre 1945 à mai 1947.
Dès la parution du programme du CNR, toute une équipe va se mettre à l’oeuvre pour réaliser ce que Croizat appellera « le système le plus humain, le plus juste, basé sur une vraie solidarité nationale et qui permet de garantir à tous une véritable protection sociale ». L’ordonnance portant création de la sécurité sociale paraîtra le 4 octobre 45.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le livre de Michel Etiévent « Ambroise Croizat l’inventeur du social » édition GAP. Ce livre magnifique est très largement illustré de photos et documents historiques.
Michel Etiévent a par ailleurs largement contribué à la réalisation du film de Gilles Perret « La Sociale » actuellement disponible.
Le second temps fort s’est déroulé le 12 juin avec une conférence de Christian Langeois au café de la Frat’ autour de son livre « Mineurs de charbon à Auschwitz ». Il est par ailleurs l’auteur de la biographie de Marguerite Flavien-Buffard et de la biographie d’Henri Krasucki, résistant, déporté syndicaliste et communiste. Ces trois ouvrages sont édités au Cherche Midi.
Avant le commencement de la conférence, la chorale « Arc-en-Ciel » de Lavans-les-Saint-Claude a interprété le Chant des Marais et le Chant des Partisans.
« C’est l’existence d’un corpus de témoignages de survivants découvert lors de mes recherches préparatoires à l’écriture de la biographie d’Henri Krasucki qui m’a permis d’entreprendre cet essai de reconstruction de la vie des déportés dans le camp de Jawischowitz » déclare Christian Langeois en introduction avant de poursuivre par une présentation du camp.
Il est l’un des 6 camps annexes d’Auschwitz, il est construit au premier semestre 1942 par des équipes qui viennent de Birkenau par camions. Le camp de la mine de Jawischowitz ouvre le 15 août 1942 pour le groupe Hermann-Göring Werke en vue d’exploiter les mines de charbon, annexées au Reich, des villes polonaises de Brzeszcze et Jawischowitz. Entre le 15 août 1942, date de son inauguration, et le 18 janvier 1945, date de son évacuation, environ 6000 déportés transitent dans ce camp. 3800 sont morts sur place ou ont été sélectionné pour être assassinés à Auschwitz Birkenau. Polonais, Allemands, Autrichiens, Hongrois, Italiens, Grecs, Français, tous sont juifs. 700 viennent de France, arrivés essentiellement en trois temps : 15 août 1942,
5 septembre 1942 et 27 juin 1943. Après cette présentation, Christian Langeois suit la trame de son livre : les camps de Pithiviers, Beaune la Rolande, les camps du sud ouest, les déportés du 23 juin 1943 parmi eux Henri Krasucki, Auschwitz, Jawischowitz, le travail à la mine, vivre et survivre, l’évacuation et la marche de la mort, la Résistance du camp.
Le conférencier s’attarde longuement sur ce dernier chapitre en expliquant que la Résistance au camp n’a rien à voir avec la Résistance telle qu’elle a été sur notre territoire. Il donne des exemples : « avec quelques camarades connus à Beaune la Rolande, Gaston Kotski organise un petit groupe de résistance qui, vu la faiblesse de ses moyens, ne pouvait avoir d’activité que dans le domaine de l’entraide mutuelle, matérielle, mais surtout morale. Plus tard, le petit groupe fut intégré à l’organisation de résistance du camp qui existait depuis pratiquement le premier jour. A ce moment là, nous pouvions faire admettre à l’infirmerie des camarades épuisés, les faire sortir avant une sélection. Nous pouvions aussi trouver un travail moins pénible à la mine pour nos camarades mais cela était très difficile… »
A la suite de la conférence, une discussion s’est engagée avec l’assistance Jean Bourgeat, déporté sanclaudien, parla de sa propre expérience en faisant apparaître les différences dans le travail et le traitement réservé aux déportés. S’en est suivi un verre de l’amitié où la discussion a pu continuer.